Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

lundi 15 décembre 2014

Jour 22

LE RÊVE


Ce soir, Kevin entre dans la cuisine commune, nous aperçoit et crie:

— Ne commencez pas sans moi!
— Il parle de quoi? demande Ana

Je ris.

— Je crois que l’histoire du Jeu le passionne.

Il nous rejoint avec son assiette et s’installe.

— Vas-y, raconte. Tu parlais d’une révélation…
— Vous parlez de quoi? demande Joséphine.

Nous lui résumons notre conversation de midi, elle est tout de suite au parfum car elle a fait partie d’un cercle en son temps.

Ana enchaîne:

— Un jour, un des participants à un cercle, qui avait d’ailleurs joué très gros, a eu l’idée d’informatiser les transactions sous forme de jeu. Au lieu de se rassembler plus ou moins clandestinement et d’échanger les enveloppes contenant l’argent, il a pensé à automatiser les transactions. Le pilote est devenu une position centrale sur une plateforme, les deux filleuls autour de lui sur un cercle mitoyen et les quatre passagers ou les nouveaux arrivants sur le cercle extérieur. L’argent versé est automatiquement et instantanément réparti. Mais au lieu de tout donner au centre, il a eu l’idée d’en redistribuer une partie aux passagers. Autrement dit, tu entres dans le jeu et tu gagnes tout de suite. 
— Géniale, l’idée.
— Oui, c’était le Pokus, n’est-ce pas? dit Joséphine, venue se joindre à la conversation.
— Oui, c’est ça, dit Ana. 
— Ah oui, parce que des enveloppes, ça se perd, ça s’oublie… dit Romain.
— Exact. Ce fut le cas plus d’une fois. Et puis surtout, c’était très lent. Les gens travaillaient le jour, se retrouvaient le soir ou le week-end, ça traînait. En ligne, on pouvait être très ambitieux. Jimmy, le mec en question, cartonnait à l’époque dans les marketings de réseau. Il savait faire passer le message, rassembler les foules, un vrai camelot. L’ambition, il l’avait. On était un petit groupe avec lui qui avait laissé pas mal de plumes dans les cercles d’abondance. Après les descentes de police, tout s’est arrêté. Ecœurés, on cherchait une solution pour retrouver nos billes, et c’est là que Jimmy est arrivé. L’idée était belle, on y croyait tous, on était des gentils. C’est vrai, si tout le monde joue le jeu, c’est génial, non? Je crois qu’on avait surtout soif de solidarité et d’entraide. Ce monde égoïste et arriviste, c’était pas notre tasse de thé. Alors on s’est mis à bosser pour créer ce jeu en ligne, et le travail, il y en avait. Mais on était tous des amateurs, alors il y a eu des couacs. Notamment dans la communication.
— Ah oui, je me souviens, dit Joséphine. Les promesses toujours reportées. 
— La communication était archi nulle. Il fallait louvoyer avec les autorités. Jimmy tenait à ce que tout soit légal, il s’est démené avec des avocats pour trouver comment faire. Il a acheté une licence de jeu dans un pays qui les délivre facilement. C’était légal, mais ça avait une drôle d’allure. On faisait gaffe à ce qu’on devait dire et comment le dire, histoire d’éviter de se faire descendre une fois de plus, alors ça donnait une communication artificielle. Les gens ont vite cru qu’on cachait des choses malhonnêtes. Et puis c’était un tel défi informatique! On annonçait une nouvelle fonctionnalité du jeu pour une certaine date — grosse erreur! Les tests cafouillaient, alors on repoussait la date, une fois, deux fois…. On a vit passé pour des guignols… On bossait comme des fous jusqu’à point d’heure. Concepteur de l’idée, Jimmy s’est vite imposé comme directeur. On était en train de réaliser un idéal, il avait l’air de savoir ce qu’il faisait, on l’a laissé faire sans demander de comptes, pourtant, c’était un réel travail d’équipe. 
— Aïe, fait Arnaud.
— Comme tu dis… On a mis la charrue avant les boeufs, on a commis les erreurs de tous les débutants. Jimmy voulait des bureaux, on a loué des beaux bureaux, acheté des ordinateurs, des meubles en bois laqué, ça en jetait. A côté de ça, les salaires était maigres… enfin, les nôtres. On a su plus tard que Jimmy ne se privait de rien. 
— On te voit venir, il s’est tiré avec la caisse? demande Bruno.
— Ben oui. 
— Mais vous ne vous êtes pas méfiés?
— Mais non! C’était le vieux rêve des communautés soixantuitardes qui se réalisait. Cette fois, c’était la bonne. Et puis je crois qu’on ne s’attendait pas une menace venant de l’intérieur. Quand on a ouvert les yeux, c’était trop tard. 
— Personne ne lui a fait un procès, personne… ne l’a tué?
— Il avait senti tourner le vent. Il est parti en Australie soi-disant pour ouvrir un bureau là-bas, il n’est jamais revenu. Intenter un procès était déjà au-dessus nos moyens, alors un procès international… Et puis quoi. On a joué, on a perdu une fois de plus. C’est la vie. Que celui qui n’a jamais perdu bêtement de l’argent nous jette la première pierre.
— T’as raison. Moi, ma dépense idiote, c’est quand j’avais vingt ans, j’ai payé une fortune pour une cure de pollen de six mois qui me garantissait dix à vingt ans de vie supplémentaire, dis-je.
— Ha, ha! Moi, la dépense pour laquelle je m’en veux, c’est l’achat d’une encyclopédie en vingt-quatre volumes que j’ai dû ouvrir trois fois. Avec, ils m’ont vendu le CD sur lequel je pouvais faire mes recherches sur l’ordinateur, c’est ça qui m’a séduite, dit Amy. C’était au début des ordinateurs domestiques et au tout début d’internet. Une décennie plus tard, Google répondait à toutes les questions encyclopédiques. 
— T’as fait quoi de tes volumes?
— Ils sont chez Claudine, près de Grenoble. Tu sais, la maison des livres.. Il faut dire que c’était une très belle édition reliée plein cuir. Un bel objet. Faut dire que ça m’a coûté un bras, j’ai payé pendant trois ans…

Chacun y va de son témoignage, et nous passons un bon moment à rire aux éclats de nos dépenses les plus idiotes que nous regrettons encore.






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