Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

jeudi 22 janvier 2015

Jour 58

LE RÊVE


Des jours que nous discutons de façon récurrente avec ces jeunes. Ils sont passionnants. Ces moments sont une véritable douche énergétique. Rien que le fait de se trouver en leur présence est vivifiant. J’aime leurs regards, ils ont des yeux fascinants. Ils sont clairs, pour la plupart, et ont des nuances qui vont du bleu au vert en passant par des aigues-marines et des céladons envoûtants. Certains ont les yeux foncés, même carrément noirs et eux aussi sont pénétrants et doux.

Ce soir, nous revenons sur l’instauration du revenu de base inconditionnel.
— C’est arrivé comment? demande Alice.
— L’idée était dans l’air depuis 1985, elle a démarré en Belgique, si mes renseignements sont bons. Et puis la Suisse a lancé une initiative pour l’inscrire dans sa constitution qui a été déposée en 2014. Un petit groupe d’utopistes bien frappés qui y croyaient, mais qui craignaient très fort qu’elle ne passe pas lors de la votation. Ils ont fait une campagne dynamique, ils étaient prêts à encaisser un refus —l’idée était trop idéaliste pour leurs trop conservateurs de concitoyens — et déjà prêts à relancer une autre initiative jusqu'à ce que ça passe. Les joies de la démocratie!
— C’était quoi, la votation?
— Une question simplissime: voulez-vous qu’un RBI soit inscrit dans la loi, oui ou non?
— Ça paraît évident que c’est oui.
— Ben non, parce que les gens se sont mis à conjecturer, à faire le travail des experts, c’est-à-dire à imaginer les conséquences d’un tel changement. Les peurs et les projections linéaires influençaient leur opinion. Ils s’imaginaient que plus personne n’allait travailler, que l’économie allait s’effondrer (alors qu’elle était déjà salement à mal), que tout le monde allait se droguer, que sais-je?…
— Mais pourquoi vous pensiez cela? demande Christophe.

Je bois du petit-lait. Comme c’est régénérant de voir ces êtres qui ignorent tout de l’ancien monde, c’est une garantie inéluctable qu’un retour en arrière ne sera plus jamais possible et cette idée balaye ce qui reste en moi de peur d’une régression. Ces jeunes m’en apportent une preuve supplémentaire que ce ne sera plus jamais possible.

— Parce que nous vivions dans un environnement différent. Les énergies étaient différentes, nous vivions dans la 3e dimension, c’est une boîte. Dans cette boîte, le temps était linéaire, la lumière et la conscience étaient compressées. Nous laissions notre passé définir notre futur. Un événement malheureux nous arrivait, nous décidions que ça ne devait plus jamais nous arriver.
— Ah ben c’est la meilleure façon de l’attirer à nouveau, dit Viviane.
— Ben oui, ajoute Pablo. Une pensée électrique sur une émotion électromagnétique, et hop, l’événement est attiré. Vous ne saviez pas cela?
— Mais non. La conscience était compressée. 

Ils ont de la peine à imaginer autant de restrictions, ça les laisse songeurs un moment.

— Pour en revenir au RBI, reprends-je, si l’idée a pu naître, c’est que nous changions de dimension depuis quelques années; et le vent nouveau soufflait dans la bonne direction. Pas un an après le dépôt de l’initiative, les choses ont commencé à vraiment se dégrader planétairement, le système s’effritait, la société s’appauvrissait. La haute finance était en crise depuis 1998, elle ne se relevait pas. Tout nous coulait entre les doigts, on ne trouvait pas de solution, alors on faisait semblant que tout allait bien. Forcément, il fallait chercher en dehors de la boîte, mais peu encore osaient le faire. Il fallait innover. Petit à petit, les idées nouvelles commençaient à émerger. L’initiative suisse ayant été médiatisée — une première —, elle a fait son chemin et a été reprise un peu partout. En Amérique, ça allait très mal, et c’est eux qui l’ont instauré les premiers, juste avant les Suisses dont la monnaie était soudainement très à mal. Coincés au milieu d’une Europe qui n’allait pas bien, leur franc avait été leur seule force pour ne pas être phagocytés. Alors quand la monnaie a lâché, ils ont instauré le RBI et ça leur a permis de résister.
— Comment ça, la monnaie a lâché?

Là, il faut leur expliquer le système financier en place à l’époque, la bourse, la spéculation; et c’est une petite galère pour moi qui n’y ait jamais compris grand-chose, sauf que c’était totalement irrationnel de faire de l’argent avec de l’argent, ce qu’ils ne manquent pas de souligner.

— Le RBI instauré en vitesse pour éviter une totale catastrophe, les gens ont recommencé à consommer, la confiance et la joie sont revenues, les gens ont pu enfin être créatifs, et c’est là que, vraiment, les choses ont commencé à changer pour de bon.
— Vu l’état des choses, ils l’ont financé comment, ce RBI?
— Dans l’urgence, ils ont imposé une taxe sur toutes les transactions bancaires. 0.01 centime sur chaque transaction. C’était le plus simple et le plus efficace. Pour le commun des mortels, c’était insignifiant, quelques francs à la fin de l’année, mais pour les grosses boîtes et surtout pour la bourse, ça faisait des sommes vite considérables. On a évalué à plusieurs milliards le nombre de transactions par jour rien que dans une grande place financière comme Londres.
— Quoi? Seulement des mouvements d’argent sans échange de biens ou de services?
— Eh oui, c'était comme ça, la vie! Cette taxe minime, à terme, a régulé ces transactions, diminué la spéculation, rien que sur les taux de change pour commencer.
— Comment ça? Je ne comprends pas, dit Viviane.
— Il y avait des programmes informatiques qui suivaient la fluctuation des devises et qui convertissaient de la monnaie dans une autre monnaie rien que pour le bénéfice sur les taux de change.
— N’importe quoi! s’exclame Elham. C’est virtuel, tout cela, comment avez-vous pu le gober? Ce n’est pas réel! Pas étonnant qu’il y ait eu une crise. L’argent n’est pas une valeur en soi, c’est juste une contre-valeur. La spéculation, c’est de l’arnaque!
— T’as tout compris. Ça ne pouvait pas durer éternellement, le système avait atteint son point de rupture; il était donc en vrille, et on ne savait pas comment l’arrêter. La taxation sur les transactions a bien calmé le jeu. N’empêche qu’avant que ça se calme, ça a rapporté gros très vite. C’était ce dont on avait besoin. L’argent de la taxation est allé directement dans les caisses de l’État sans passer par les banques, ce qui les a bien court-circuitées et bien énervées. Ça leur a retiré un pouvoir qu’elles avaient usurpé, car c’est elles qui avaient fini par tirer les ficelles du pouvoir, et les politiciens s’étaient mis à leur service. Après, on a fait de l’ordre dans le budget de l’État. Il y a eu un audit par les citoyens. De simples citoyens et des experts ont revisité complètement le budget fédéral. Un énorme travail intensif à la fois local et global qui a pris deux ou trois ans. On a pu ainsi éliminer le gaspillage et établir des budgets sains, redistribuer l’argent plus équitablement. Grâce à cela, il y a eu soudainement un fric incroyable à disposition pour restaurer la santé matérielle un peu partout. C’est surtout la diminution du budget de l’armée qui a fait du bien. L’armée a été transformée en protection civile contre les catastrophes naturelles, les armes furent recyclées, ça a provoqué un puissant changement dans l’énergie globale du pays. Finie cette menace de guerre incessante.
— Comment cela?
— Imagine un pays dont le plus gros budget est celui de l’armée. Ça induit quoi, comme idée? Que la première priorité du pays, c’est la guerre ou la défense contre les ennemis potentiels. Ça veut dire que la première valeur dudit pays, c’est la méfiance envers les étrangers. Comment veux-tu vivre en paix quand la plus grande préoccupation est la guerre?
— Excuse-moi, dit Pablo, mais vous viviez comme des cons!

J’éclate de rire.

— Oui, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. On faisait de notre mieux dans cette dimension avec une telle densité.
— Ben oui, lui dit Viviane, on ne peut pas juger, les choses étaient différentes.
— Oui, pardon, dit Pablo. Mais ça me noue le ventre d’imaginer comment vous pouviez vivre. C’était dur, non?
— Dense, oui. Épais, résistant, ça prenait un temps infini pour évoluer. Mais à la fin, tout s’accélérait, c’était excitant. Au début, la protection civile s’est occupée du nettoyage. On s’est occupé en priorité des sans-abris et des plus démunis. Ça faisait un moment qu’on étouffait la honte d’avoir des concitoyens qui n’avaient pas le minimum vital; à un moment, notre humanité qui se réveillait enfin en nous a rendu intolérable de faire encore les autruches. Le RBI a tout changé, les pauvres ont disparu, tout le monde avait les moyens de se payer un logement et à manger. Sauf que les logements bon marché étaient insuffisants, alors on a œuvré pour remédier ce problème. Allocations aux propriétaires qui rénovaient les immeubles vides pour les louer à bon marché, rachats d’immeubles par l’État dans certains cas, coopératives d’habitants, bref, le problème a été relativement vite résolu avec un maximum de bonne volonté. Plus de SDF. Parallèlement, on s’est occupé des déchets. Tout faire pour en produire moins et optimiser le recyclage. Là aussi, ce fut vite fait, le mouvement était en marche depuis quelques décennies déjà, on l’a juste accéléré jusqu’à 100% de recyclage. Chacun a balayé devant sa porte; aujourd’hui, la planète est propre.
— Mais si j’ai bien compris à quel point c’était chacun pour soi, comment se fait-il que tout d’un coup, le mouvement ait été général? demande Viviane.

J’aime bien cette fille, elle est fine, sensitive, elle discerne en profondeur.

— Mon Dieu, c’est vrai que les choses ont pris un temps fou. On avançait dans de la gélatine. Quand les consciences ont commencé à bouger, c’était d’abord mental. Forcément. Mais on a pataugé dans le mental pendant des âges. Je me souviens des débuts de l’internet. Comme pour toutes les avancées technologiques, on pensait que c’était un gadget, que ça n’allait pas durer. Moi, ça m’a immédiatement branchée, mais je n’osais pas «me payer ce luxe». Toujours à cause du format de la boîte. Quand j’ai su qu’il y avait un internet spirituel, je me suis connectée. J’ai écumé les sites, exclusivement américains pendant plusieurs années. Après, le mouvement s’est répandu. Là, on commençait à réfléchir en dehors de la boîte. Les idées se sont généralisées, et puis le mouvement a ronronné. Beaucoup de bla-bla pendant longtemps, beaucoup de discours lénifiants, des prêchi-prêcha «augmentez la lumière», des channelings fatigués, répétant tout le temps la même chose, mais pas de passage à l’acte. C’était fatigant à la longue, je n’en pouvais plus d’entendre chacun prétendre trouver ses guides et submerger internet avec les channelings, toujours les mêmes. «Bientôt, ça ira mieux, un bon-papa va venir vous sauver». Toujours le pouvoir à l’extérieur, l’attente d’un Messie au lieu de prendre nos responsabilités et d’agir. 

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